Le monde du travail d’après, Tribune de Myriam EL KHOMRI

19 octobre 2020

Il est trop tôt pour appréhender avec certitude toutes les conséquences de la crise sanitaire que nous avons traversée et dont nous ne sommes pas encore pleinement sortis. Pour ce qui est de son impact sur l’économie en général et le monde du travail en particulier, gageons toutefois que l’effet va se mesurer à trois échelles différentes.

Formation & protection des salariés en rempart social

D’abord, au niveau de l’emploi évidemment, tant les premières statistiques enregistrées et les projections établies doivent nous inquiéter. Souvenons-nous qu’à l’occasion de la crise de 2008-2009, le chômage avait augmenté chez nous d’environ 1 point par an pendant 4 ans, ce qui nous avait très rudement mis à l’épreuve. Dans les prochains mois, le corps social risque d’être bien plus violemment exposé avec une hausse probablement beaucoup plus rapide et une vague bien plus massive de licenciements. Les questions de formation et de protection des salariés seront donc au cœur des enjeux, nécessitant volontarisme, inventivité et moyens inédits.

Rapport au travail et recherche de sens

Le deuxième impact tient au rapport fondamental que nous entretenons avec le travail. La crise, nous le savons, a « trié » la population active en trois tiers : les travailleurs maintenus en poste « au front », les télétravailleurs de l’arrière et, enfin, ceux contraints à l’inactivité, qu’ils soient demandeurs d’emploi de longue date ou mis en chômage partiel. Les premiers constituent cette France du « back office », d’habitude invisible mais ici mise en lumière, indispensable alors qu’elle est généralement privée de considération matérielle et symbolique. Elle a pourtant ici été en prime très fortement exposée au risque sanitaire et s’est sentie en danger dans son travail. Le troisième tiers, par sa mise à l’arrêt forcée, a pu doublement souffrir : d’un sentiment d’inutilité d’abord, d’une amputation de revenu ensuite. En tout état de cause, la moitié des salariés dit que cette crise aura changé leur rapport au travail, aux attentes qu’il suscite, à la finalité de ce dernier. Ne mésestimons pas l’ampleur du choc à terme, par l’effet combiné de ces sentiments de vulnérabilité et d’inutilité, qui font écho à la question du sens.

Le télétravail en marche forcée

Le troisième impact relève de l’organisation du travail et de l’expérimentation massive du télétravail, qui a donc concerné un tiers des salariés (mais les deux tiers des cadres et seulement 5% des ouvriers). Le télétravail, ne nous trompons pas, n’est donc pas à ce stade l’affaire de tous. Son application bouleverse néanmoins l’ensemble des collectifs de travail, organisés demain autour d’un nouvel espace-temps.  La crise aura fonctionné ici, comme bien souvent, comme un accélérateur de tendances. Réjouissons-nous d’abord : alors que nous étions très en retard en la matière, la crise aura permis de surmonter les derniers freins culturels et organisationnels. Et alors que nous nous l’avons expérimenté dans les pires conditions qui soient – télétravail improvisé, hors de tout cadre négocié, dans un climat anxiogène, 5 jours sur 5 voire davantage, en ayant à assumer, en prime, l’école à la maison – cela a plutôt très bien marché et l’immense majorité des salariés l’ont bien vécu et y ont même pris goût pour la suite.

Mais attention, le progrès peut cacher certains biais : cet amplificateur de tendances aura aussi été un aggravateur d’inégalités. Le télétravail n’ayant pas aboli la « double journée » des femmes, ces dernières ont été plus impactées par les contraintes inhérentes à ce confinement que les hommes, subissant un partage souvent très sexué des tâches domestiques.

Tribune de Myriam EL KHOMRI, Directrice du Pôle Conseil, publiée dans le n*12 de Forbes daté du 22 septembre 2020

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